NUMÉRO 1 : LE VIDE

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SYLVIA-ESTHER-MOI

LITTÉRATURE

MAURACELENT

Pendant un séjour à New-York, remporté lors d’un concours de poésie, l’étudiante Esther Greenwood se sent prise d’un soudain mal-être. Tiraillée entre ses ambitions littéraires et le destin de femme au foyer qui attend les femmes des années 50, elle se laisse ronger par ses angoisses et sombre bientôt dans une longue dépression destructrice. 

La Cloche de détresse est l’unique roman – d’inspiration autobiographique – de la poétesse Sylvia Plath qui se suicide un mois après sa parution, à l’âge de 30 ans. 

C’était un été étrange et étouffant, l’été où j’ai lu Sylvia Plath. J’avais attendu, inerte, sous le manteau blanc des nuages parisiens, que reviennent les ciels ouverts des journées chaudes, pleins de promesses et de bleu agressif. J’avais déserté les cours de la fac dès février, emmitouflé.e dans mes couvertures, tout juste avant la fin de mon master. La perspective de devoir choisir une voie définitive après avoir dégotté mon diplôme m’avait foutu une frousse terrible, qui me prenait au ventre et ne me quittait jamais. Alors j’avais décidé de m’allonger et de ne plus y songer. Après tout, je n’aurais qu’à retaper l’année et j’aurais ainsi encore de longs mois expéditifs pour prendre ma décision, celle qui allait tout changer.

Les vacances étaient arrivées, comme après un mauvais rêve et on m’avait finalement autorisé.e à ne rien faire auprès des autres. J’ai décidé d’emporter le seul livre qui tenait dans mon petit sac et je me suis m’échappé.e vers les plages bretonnes qui me souffleraient peut-être la réponse que j’attendais. Je crois que je ne peux lire des choses déprimantes que sous un ciel bleu qui rejoint une mer bleue, alors que le soleil me brûle. J’ai comme ça l’impression que le paysage entier me retient, m’entoure fermement et maintient la réalité bien en place. Je me suis dit que dans ces conditions, je pouvais bien lire La Cloche de détresse.

Le bleu est devenu celui des petites étincelles qui parcourent le corps en partant des tempes, électrochocs de pages en pages, étendues sans fins des côtes finistériennes pour un cerveau sous cloche, enserré par des kilomètres de phrases noires comme des boas constrictors, je vis, je vis, je vis. La mascarade des sourires polis, avant de revenir frénétiquement à elle, Sylvia-Esther-Moi, ma folle en asile, ma grande écrivaine qui n’écrit pas et qui pourtant bouillonne, et le livre entre elles et moi, comme preuve que peut-être. Comme Esther, je me suis arrêté.e pour regarder les ramifications de l’arbre que j’avais laissé pousser sauvagement, qui avait pris place partout dans ma tête et dans mon corps, avec ses grosses figues qui pesaient sur mes épaules, toutes inaccessibles, trop impressionnantes pour que j’ose les toucher, et comme Esther, je mourais de faim, de cette faim à faire perdre la tête. La Cloche de détresse s’est muée en un nouveau fruit, celui de l’écriture, des projets qui germaient en moi, poursuivis par le familier désespoir d’être trop miteux.se et prenant déjà la grossière et monstrueuse forme de l’échec.

Alors l’envie de profiter des douces ondulations de l’électricité le long de la chair à vif du cerveau. De fermer les yeux pour devenir doucement aveugle. Mais non, la brûlure de l’eau glacée de l’Atlantique. 

Et, contre toute attente, parmi le chaos que réveillait le double dans les pages, le doux pansement des mots qui me révélaient que je n’étais pas seul.e devant le précipice de l’incertain, du refus de tout par peur de rien, que peut-être, si je résistais suffisamment longtemps à la tempête, la vie finirait par arriver. 

À tout cœur perdu, dont la vie s’apprête à commencer alors qu’elle semble finir, à tous les inertes devant le vertige des possibles, lisez La Cloche de détresse. Si Sylvia n’y a pas survécu, Esther y parvient, et, moi, peut-être aussi.

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Attention : il est important de notifier qu’il existe dans l’œuvre de Sylvia Plath, notamment dans La Cloche de détresse, certaines occurrences de racisme et d’homophobie, en aucun cas cautionnés, et qui peuvent heurter à la lecture.